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Romuald Assogho Obiang

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COMMUNICATION INTEGRALE Du Dr Romuald Assogho Obiang, Ensegnant-Chercheur à l’UOB, sur la problématique du secteur éducatifau Gabon : « L’éducation coûte cher ? Et l’ignorance donc ? POUR UN ÉTAT D’URGENCE ÉDUCATIF ET UN PLAN MARSHALL POUR L’ENSEIGNEMENT PUBLIC AU GABON. Dire que l’éducation est sinistrée au Gabon est autant un truisme qu’entreprendre d’en faire la démonstration équivaudrait à enfoncer des portes ouvertes »…

Enseignant depuis 20 ans dans la première université du pays et produit (notamment) de l’école de la République – jusqu’à une époque où cette notion recouvrait encore un brin de réalité – c’est à mon corps défendant que j’ai assisté depuis les premières loges à l’effondrement de ce secteur ô combien vital pour tout peuple qui veut tenir son rang dans le concert des nations ou simplement exister et se donner un avenir.

La situation est à ce point critique que tout le monde semble l’avoir normalisée, à l’exclusion peut-être des syndicalistes – dont, du reste, le nombre et la capacité de mobilisation se réduisent comme une peau de chagrin – et des parents économiquement faibles auxquels le coût prohibitif de l’enseignement privé n’offre pas une alternative, mis à part regarder ses enfants se laisser prendre à leur tour dans le piège de la pauvreté, et dont le devoir parental se résume, à peu de choses près, à implorer le ciel afin que celui-ci les garde de la prostitution et de la délinquance auxquelles ils sont inexorablement promis faute de perspectives de formation, d’emploi et de carrière (les concours et les recrutements publics sont gelés jusqu’à nouvel ordre).

Quant aux gouvernants qui se sont succédés aux commandes du pays, on pourraient difficilement convaincre qui que ce soit que l’éducation et la formation des Gabonais auront été leur priorité.

La portion congrue que l’enseignement primaire, secondaire et tertiaire a représenté dans le budget de l’État (portion notoirement absorbée pour l’essentiel par le fonctionnement, les salaires et les détournements), l’absence d’investissements dans la construction de nouvelles salles de classes (ou ne serait-ce que dans la réhabilitation et l’entretien de l’existant), les taux d’échec et de décrochage scolaires aux niveaux de pays parmi les plus pauvres de la planète (le Gabon a le plus fort taux de redoublements du monde), la prééminence de la grève (alternativement des apprenants et des enseignants) au fil des années académiques, de surcroît pour des griefs vieux de plusieurs décennies, pointent clairement l’absence de volonté politique.

Si les choses ont pris un tour dramatique à partir de 2010 la relégation de l’enseignement et de la formation publics au second plan de l’effort national remonte, elle, à la crise économique du milieu des années 1980.

Le 17 janvier 1990, le campus de l’Université Omar Bongo (la bien nommée) était pris d’assaut par les forces de police et de défense dépêchées pour mater les étudiants révoltés par la dégradation de leurs conditions matérielles et d’étude.

«On veut des profs, ils nous envoient des chars», put-on lire quelques jours plus tard devant le palais «Rénovation» sur une des banderoles d’étudiants désabusés et encore sous le choc venus signifier au maître des lieux qu’un usage de la brutalité aussi disproportionné qu’injustifié n’est envisageable que contre l’ennemi et non contre une jeunesse que l’on prétend «sacrée».

Cet événement, auquel allait succéder une série de mouvements insurrectionnels (à l’origine du retour au multipartisme), devait inaugurer une ère de cohabitation des plus tumultueuses entre la jeunesse gabonaise et Omar Bongo qui ne prit fin qu’en juin 2008 quand ce dernier tira sa révérence.

Et pour cause : aucun (ou presque) des engagements pris officiellement pour apaiser la colère des étudiants et pour ramener la sérénité à l’université par l’homme qui présida 42 ans aux destinées du Gabon n’a été tenu, ni par lui-même (si l’on excepte le dédommagement des résidents en cité universitaire ayant signalé des pertes matérielles lors de l’intervention musclée de l’armée) ni par son successeur trente années plus tard, presque jour pour jour.

Quiconque se rend aujourd’hui à l’Université Omar Bongo ne peut que parvenir à la conclusion que celle-ci n’est une université que par abus de langage et que ce n’est pas dans son état et avec son fonctionnement actuels qu’elle figurera au palmarès des 200 meilleures universités du continent dont elle est systématiquement exclue, tout comme le sont les deux autres universités du pays.

Ci-après quelques éléments pour se faire une idée du bilan de l’action (ou plutôt de l’inaction) des deux derniers chefs de l’exécutif gabonais, sans chercher à trop forcer le trait.

1- Le nombre de bâtiments, conçus en 1970 pour accueillir 8 000 étudiants, est quasiment inchangé à ce jour pour des effectifs avoisinant les 40 000 étudiants ;

2- La résidence universitaire est fermée depuis plus d’une décennie sans projet de réouverture.

3- La bibliothèque, comme chacun peut s’en douter, n’en est une que de nom, quel que soit le critère d’appréciation.

4- L’infrastructure sportive et de loisirs est quasi inexistante.

5- Seules deux ou trois poignées d’enseignants et de chercheurs disposent d’un espace individuel de travail.

6- Ni l’université ni ses deux facultés n’ont un accès à un internet haut débit.

7- Les voiries donnent l’impression d’avoir subi un pilonnage aérien tandis que des hectares de terrain sont maintenus dans la broussaille, servant de lieu d’aisance (faute de toilettes) en même temps que d’habitat pour reptiliens, batraciens, rongeurs et cannabinomanes.

8- Le restaurant, gouffre financier s’il en est et éternelle pomme de discorde entre les étudiants et l’administration compétente, n’est pas sorti de son rendement sub-optimal et erratique.

9- La pléthore d’étudiants arrivés à reculons dans cette enceinte pompeusement qualifiée de «temple du savoir» et, au demeurant, sortis du lycée (voire du primaire) avec des lacunes irrémédiables parviennent tant bien que mal à faire contre mauvaise fortune bon cœur en attendant d’aller grossir les rangs des chômeurs en augmentation exponentielle.

10- Le campus demeure une aire de fraie pour une faune d’étudiants (et subsidiairement d’enseignants) opportunistes ainsi qu’un centre de perfectionnement au profito-situationnisme et au tribalisme; un vivier dans lequel différentes écuries politiques puisent activistes, taupes, fauteurs de basses besognes et de troubles divers ;

11- Les enseignants, en sous-effectif et évoluant dans un cadre moyenâgeux dépouillé du strict minimum mais sommés de former une élite de qualité et de produire de la science, sont démotivés et en peine d’exhaler un soupçon de conscience professionnelle (les cours à la faculté de droit et sciences économiques au titre de l’année 2019-2020 ne commenceront pas avant le mois de mars, s’ils commencent).

Excédés d’être mal payés en retour de leur sacrifice et déçus par une carrière que très peu embrasseraient de nouveau s’il leur était donné de remonter dans le temps ils sont en proie au désenchantement, qu’ils cherchent à vaincre par la moindre activité parallèle (ou exclusive de préférence) plus gratifiante qui se présente, y compris militer dans le parti au pouvoir ou être l’homme-lige ou le porte-valise d’un baron du régime.

Comble d’ironie, c’est aux universitaires que beaucoup font porter la responsabilité première des maux qui minent l’enseignement supérieur en général et l’UOB en particulier.

Ceux-ci sont accusés d’être grassement payés à ne rien faire, de sacrifier la jeunesse par des grèves intempestives et sans objet, de monnayer les notes contre des faveurs sexuelles, de vendre au prix fort des fascicules de cours jamais actualisés, d’être peu présents sur le terrain de la recherche ou, le cas échéant, d’être auteurs de travaux confidentiels, car souvent sans intérêt scientifique ni réelle portée sociétale, etc.

12-Le recteur, placé au sommet d’un volcan actif mais dépourvu des moyens pour face face aux éruptions, est le même souffre-douleur désigné des étudiants, des enseignants et des autorités, tous prompts à demander beaucoup sur des budgets insignifiants, et, de fait, contraint d’exceller dans l’art de mendier des subsides aux fins d’entretien a minima du campus, de paiement des vacations à des enseignants constamment sur le qui-vive et des primes au personnel ATOS non moins enclin aux débrayages, de contentement des membres de son cabinet, sans omettre d’en garder suffisamment pour sa poche — Le recteur n’a pas vocation à être un enfant de chœur ni un garçon de quête, n’ayant pas pu jouer des coudes pour se hisser à ce poste pour la seule gloire.

La contrepartie des avantages attachés à sa fonction prestigieuse et lucrative est que le recteur est la tête de turc parfaite pour les francs-tireurs plus ou moins déclarés parmi ses collègues enseignants et pour les tireurs de ficelles tapis dans l’ombre du pouvoir avec leur horde d’agents occultes et doubles (recrutés parmi les étudiants et le corps enseignant et le personnel administratif) auxquels l’exécutif du pays choisit, contre toute logique de gestion, de sous-traiter la «résolution» de problèmes créés la plupart du temps par eux-mêmes.

Combien de fois le chef de l’État (Omar Bongo pour ne pas le nommer) a-t-il préféré confier plusieurs centaines de millions de francs à des hommes de l’ombre, parfois extérieurs à l’université, ou à des meneurs de la contestation estudiantine pour soi-disant régler ou circonscrire un problème ?

Des étudiants activistes se sont ainsi vus confier l’acquisition à l’étranger (tous frais payés par le trésor public) d’ouvrages destinés a la bibliothèque universitaire, en lieu et place des personnes nommées et préposées à cette tâche, sans qu’il ne leur ait été demandé de rendre les comptes de l’usage fait à autant d’argent sorti de la poche du contribuable.

La récente éviction à mi-mandat d’un recteur – qui ne prétendra peut-être pas à la palme d’or de la gouvernance universitaire irréprochable – illustre comment les dirigeants du pays peuvent être abusés par des personnes «de confiance» qui, elles-mêmes dévorées par l’ambition, n’ont pas de scrupules à alourdir le climat déjà délétère qui prévaut dans cette université pour parvenir à leurs fins.

ET LE MINISTRE DE TUTELLE DANS TOUT CE MICMAC ?

De tous les hauts responsables du sous-secteur de l’enseignement supérieur (recteurs des universités et chefs des différents autres établissements publics inclus), le ministre est celui qui correspond le mieux à l’idéal-type aussi bien du «faire-valoir » que du «fusible», c’est-à-dire «une personne qui, en cas de crise (…), prend sur elle pour sauvegarder le poste de son supérieur».

Il est appelé à endosser une politique dont les tenants et les aboutissants lui échappent et dont, surtout, il ne définit ni ne contrôle les moyens financiers et humains.

Pour autant qu’une telle politique existerait, c’est néanmoins à lui d’en rendre compte au parlement, au gouvernement et à la communauté nationale.

Placé entre le marteau, que sont les enseignants et les étudiants, et l’enclume, qu’est celui qui l’a nommé à cette fonction (lequel est allergique à toute velléité de soulèvement), le ministre doit sa longévité au poste pour beaucoup à son aptitude à ne pas faire de vagues.

Il n’a pas grand intérêt à introduire des réformes qui, la plupart du temps, vont se retourner contre lui et potentiellement lui coûter sa place.

L’action du ministre va ainsi se borner :

-à sauver les apparences : ce qui consiste principalement à inaugurer les chrysanthèmes et à faire des apparitions à la télévision quand l’actualité lui en fournit le prétexte, principalement en périodes de crise, pour faire bonne figure ou pour rappeler les enseignants et les étudiants à l’ordre, en se gardant toutefois d’employer un ton comminatoire qui aurait l’effet d’envenimer la situation ;

-à veiller à ce que l’année académique soit validée (25 semaines de cours sont le minimum selon la recommandation de l’UNESCO mais sont devenues la norme, d’ailleurs atteinte au prix de rafistolages du calendrier) quitte à servir aux étudiants une formation bâclée et au rabais;

-à procéder à la nomination des responsables d’établissements, le summum de son pouvoir qui, toutefois, ne couvre pas les postes «stratégiques» dont le chef de l’État se réserve le domaine;

-et à conjurer les menaces de grève; car un ministre survit rarement à une grève interminable, sa tête étant presque systématiquement mise à prix par les grévistes, et le chef de l’État ne se faisant pas beaucoup de scrupule à la leur servir sur un plateau à défaut de satisfaire leurs revendications fondamentales.

De toutes les manières, le ministre est encore moins en capacité de répondre aux exigences kilométriques et toujours pressantes des syndicats, ne pouvant déjà pas disposer à sa guise des maigres ressources qui sont allouées à l’enseignement supérieur dont les établissements sont les destinataires ultimes et qui, du reste, sont toujours en deçà de leur inscription au budget de l’État.

Conscient qu’il est assis sur un siège hautement éjectable, il est instinctivement enclin à s’attaquer non pas aux problèmes (il en est démuni) mais aux personnes qui les soulèvent. Il a pour cela une panoplie d’actions (intimidation, suspension de salaire ou de bourse, garde à vue) contre ceux des leaders syndicaux ou étudiants qui refusent d’être soudoyés. Le must étant de recruter un syndicaliste virulent dans son cabinet.

Les plus entreprenants et remuants des ministres obtiendront des fonds pour tenir des assises telles que «task force», «dialogue social», pour lesquelles beaucoup d’argent sera mis à leur disposition.

En revanche, ils n’en recevront pas pour mettre en œuvre les recommandations qui finiront dans un tiroir ou dans une corbeille.

On n’ira pas jusqu’à conclure que le ministre de l’enseignement supérieur et les chefs des établissements sous sa tutelle ne sont que des victimes expiatoires. Loin s’en faut.

Des postes de cette importance, avec les honneurs et les gratifications qui vont avec, valent bien la peine qu’on avale pilules amères et couleuvres et qu’on ravale une dose de sa fierté.

UNE ÉCOLE POUR QUELLE RÉPUBLIQUE ?

S’il est un domaine en rapport avec l’enseignement supérieur où les pouvoirs publics ont marqué des points c’est manifestement dans la bataille de l’opinion.

Ils ont réussi à faire oublier leurs propres responsabilité et turpitudes à une partie de cette opinion qui, prenant l’expression «sacerdoce de l’enseignement» au pied de la lettre, attend de l’enseignant qu’il soit un être à part, qu’il ait fait vœu de pauvreté et de chasteté et fait don de sa personne à la nation, que cette dernière lui en soit reconnaissante ou pas.

La même opinion ne se demandera pas par quelle magie l’enseignement supérieur serait logée à une enceinte différente des autres secteurs tels que la santé, la route, l’habitat, l’eau et l’énergie, etc. tout autant victimes de la faiblesse des investissements et de la mauvaise gouvernance.

Elle ne conçoit pas que les enseignants – bien que diplômés pour la plupart des mêmes universités que leurs homologues occidentaux souvent pris en référence – puissent simplement être à l’image des autres corps de l’administration et des autres membres de la société.

On aurait tort de croire que l’Université Omar Bongo et les autres institutions d’enseignement supérieur ont le monopole des tares et des problèmes au sein du système éducatif et, plus généralement, parmi les autres secteurs de service public; qu’elles sont les seuls foyers de tensions (endogènes comme exogènes) et qu’ils ont l’exclusivité de cette physionomie quasi apocalyptique que nous venons de dépeindre.

Elles témoignent, néanmoins, de façon éloquente de ce qu’il est advenu de l’école de la République qui autrefois était une référence en Afrique noire.

À une époque qui paraît tellement lointaine la jeunesse scolaire et estudiantine (d’extraction modeste aussi bien que bourgeoise) était éduquée, formée et socialisée dans les établissements publics d’enseignement et de formation disséminés à travers le territoire national, que complétaient en bonne synergie plusieurs établissements confessionnels de référence (tels que Bessieux et Institut Immaculée Conception à Libreville, Raponda Walker à Port-Gentil, Saint-Gabriel à Mouila, CES d’Angone à Oyem, etc.), fruit d’une vieille collaboration entre l’État et l’église catholique.

Être élève dans un des rares établissements privés était alors synonyme de faiblesse de niveau, et valait aux concernés d’être traités par leurs homologues du public avec une condescendance parfois teintée de mépris.

En moins de trente ans la situation a été totalement inversée. Du point de vue de la crédibilité de l’enseignement, le privé est devenu la règle et le public l’exception.

Phagocyté qu’il a été par l’enseignement privé – dont bon nombre de promoteurs appartiennent paradoxalement à une classe censée être garante du service public dans le secteur éducatif et de l’égalité des chances entre tous les enfants de la République – l’enseignement public est aujourd’hui le symbole du fossé qui ne cesse de se creuser entre la majorité de la population et une minorité de nantis dont la progéniture est scolarisée soit hors du Gabon soit dans des structures privées locales.

Comme on devrait s’y attendre, c’est à ces enfants «de bonne famille» que reviendront prioritairement les quelques postes qui s’ouvriront dans la haute administration, dans les agences publiques et parapubliques et dans les grandes entreprises.

Qui, devant un tel tableau, serait convaincu que l’école de la République peut encore être l’ascenseur social par excellence, le facteur de nivellement des inégalités à la naissance, et le haut lieu de l’éclosion et du raffermissement de l’amour de la patrie et du sentiment national qu’il était jadis ?

Il est à redouter que s’il devait rester figé sur sa trajectoire inique et chaotique actuelle le système éducatif national ne puisse plus engendrer une élite scientifique, intellectuelle, politique, administrative, culturelle et morale de la trempe des Jean-Hilaire Obame Eyeghe, René-Paul Sousatte, Paul Indjendjet Gondjout, Germain Mba, Mgr André Fernand Anguilé, Marcel Éloi Rahandi Chambrier, Marc Saturnin Nan Nguema, Pierre-Louis Agondjo Okawé, François Owono Nguema, Pierre André Kombila, Guillaume Pambou Tchivounda, Jules Aristide Bourdes-Ogouliguende, Pierre Mamboundou Mamboundou, Casimir Oyé Mba, Paul Mba Abessole, Donatien Mavoungou, Albert Ondo Ossa, Justine Mintsa, Marc-Louis Ropivia, Albertine Maganga Moussavou, Jean de Dieu Moukagni Iwangou, Lucie Milebou-Aubusson, Fabien Méré, Michel Mboussou, Regis Immongault, et tant d’autres qui ont fait les beaux jours de ce pays au cours de ses 60 ans d’existence en tant qu’État-nation.

Ce système, il faut avoir la lucidité de le reconnaître et le courage de le dire, est pour le moment programmé pour produire des régiments d’aigris, de chômeurs et de crapules, et naturellement il favorisera l’émergence et la prééminence d’une contre-élite qui, en définitive, trouvera sa place dans les centres de détention.

UN PLAN MARSHALL SINON RIEN

Il n’y a toutefois pas de fatalité à ce que l’éducation nationale continue d’être le mur des lamentations où l’on vient déverser des larmes pour ne pas lever le petit doigt une fois celles-ci séchées.

Si les gouvernants actuels peuvent légitimement ne pas s’estimer comptables de la gestion de l’enseignement public depuis 1960 ils ne pourront pas se dédouaner des conséquences liées au peu d’intérêt qu’ils lui accordent aujourd’hui ou qu’ils lui accorderaient demain.

Ils auront beau construire des routes et d’autres infrastructures, chercher à mettre en place un environnement des affaires «propice», attirer les investisseurs par toutes sortes d’incitations, créer des zones économiques à régime privilégié, s’attacher les services d’experts en développement industriel, multiplier les missions dans des pays qualifiés de «miracle» dans l’optique de reproduire leur modèle de développement, etc., sans une politique éducative ambitieuse visant le plus grand nombre, l’émergence (et a fortiori le développement) demeurera une élucubration.

Plus prosaïquement, penser que l’on peut émuler la Corée du sud, la Chine ou Singapour, simplement en injectant du cash dans certains secteurs, c’est soit se méprendre sur le sens du mot «miracle» soit ignorer les ressorts du développement industriel et économique des nations.

Par-delà la dimension culturelle qui a certainement été à l’œuvre dans la progression de ces pays, aucun d’eux n’est parvenu à ce stade de développement sans un système d’enseignement public performant.

Avant de devenir l’objet de fantasmes qu’elle est pour beaucoup de dirigeants en mal d’inspiration à travers le monde la Corée du Sud a considérablement investi dans l’éducation et la formation professionnelle. La démocratisation précoce de l’enseignement y a très vite permis d’atteindre des niveaux élevés d’alphabétisation et de scolarisation.

C’est ainsi que les entreprises coréennes ont bénéficié d’une population éduquée et formée, parallèlement à des politiques encourageant l’investissement, l’industrialisation, les exportations et le transfert des technologies.

Aujourd’hui, les jeunes Coréens ont non seulement une bonne éducation mais aussi accès à de nombreuses incitations qui les motivent à faire des efforts et à exceller dans leurs vocations. Ils sont conscients que par le travail et par l’entreprenariat ils peuvent améliorer leur niveau de vie et acheter des voitures, des maisons, faire face aux dépenses de santé, etc.*

Ainsi, l’instruction et la formation ne sont pas seulement un facteur de développement personnel.

Ingrédients du capital humain elles sont un facteur-clef de la croissance économique, de la prospérité et du progrès, intimement associées à l’amélioration de l’hygiène et la santé et au bien-être.

La volonté de tout dirigeant d’un pays sous-développé à œuvrer au développement de celui-ci se doit d’être mesurée à l’aulne, surtout, des efforts d’investissement qu’il consent pour une éducation publique pour tous et de qualité.

Une nation sous un bon gouvernement, a dit Thomas Paine, «ne devrait permettre à personne de rester sans éducation [car ce] sont les gouvernements monarchiques et aristocratiques seulement qui requièrent l’ignorance pour se conforter.»

Il ne tient qu’aux gouvernants gabonais de démontrer que l’avenir de ce pays leur tient à cœur.

D’abord, en reconnaissant l’urgence que revêt l’état de l’éducation ; deuxièmement, en instaurant un plan Marshall en faveur de l’enseignement public du primaire au supérieur afin de remonter rapidement la pente, et de s’inscrire dans une dynamique durable par la suite.

Vu l’enjeu, il n’est pas irréaliste de tabler dans un premier temps sur un investissement de 20 à 25% des dépenses publiques sur dix ans; puis, dans un second temps, s’aligner sur des pays à revenus intermédiaires tels que le Botswana qui consacre plus de 9% de son PIB aux dépenses publiques d’éducation (contre moins de 3% pour le Gabon aujourd’hui, pourcentage qui le situe au niveau des pays les moins avancés).**

Le secteur privé et les partenaires au développement devront être mis à contribution.

Une dette de cette nature est forcément soutenable, car les générations futures sur lesquelles elle va être reportée auront la capacité d’y faire face. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Mais un tel effort passe nécessairement aussi par un meilleur usage des ressources publiques.

Il s’agit, entre autres, d’éviter les gaspillages et les détournements ; de rogner sur les budgets de certaines institutions (voire d’en supprimer) et de désinvestir dans des secteurs moins urgents tels que la sécurité et la défense dont le budget est actuellement le double de celui de l’éducation.

Si la finalité d’une armée est la sécurité extérieure l’appartenance du Gabon à des mécanismes régionaux et sous-régionaux de coopération et d’entraide policières et militaires devrait lui éviter d’être attaqué ou, le cas échéant, d’être occupé par quelque pays voisin ou lointain.

En revanche, si la surabondance d’hommes en uniforme vise à dissuader et à contenir des mouvements endogènes, une armée mieux formée et plus professionnelle devrait largement compenser la diminution drastique des effectifs et des dépenses en armement, lui permettant de mieux coller au concept d’armée «en or» si cher à Ali Bongo.

Du reste, comme l’ont démontré les violences tragiques de janvier 2020 consécutifs à la psychose née des rumeurs d’enlèvements d’enfants, la vue du gendarme n’est pas toujours le début de la sagesse.

Le gouvernement et, surtout les ministères en charge de l’éducation et de la formation professionnelle, doivent retrouver la plénitude de leurs attributions en matière de politique d’éducation; en veillant toutefois à ne pas y placer des personnes ayant un passé de prévaricateur ou à la moralité douteuse.

L’Assemblée nationale devra être au cœur du processus.

Celle-ci devra être disposée à rejeter systématiquement tout projet de loi de finance qui dévierait de l’objectif ainsi fixé.

Je persiste et je le signe : la première des matières premières c’est la matière grise.

**********************
Dr Romuald Assogho Obiang
Enseignant-Chercheur a l’UOB
(17 février 2020)

___________________

* Daron Acemoglu et James A. Robinson, Pourquoi les nations échouent…

**Dans les pays de l’OCDE, les établissements d’enseignement sont surtout financés par les pouvoirs publics. En moyenne, 85% du financement des établissements primaires et secondaires proviennent directement de sources publiques, 60% pour l’enseignement supérieur. Même aux États-Unis la part du privé dans le financement de l’éducation dans sa globalité ne représente que 30%. Mais moins de 5% au Danemark, au Luxembourg ou en Suède qui sont des modèles d’État-providence. Les pays du nord de l’Europe consacrent en moyenne 7% de leur PIB aux dépenses publiques d’éducation, 14% en moyenne dans certains pays émergents.

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